Cette semaine, nous allons discuter Convivialité, et plus précisément d’outils conviviaux. Notions introduites par Ivan Illich en 1973, à l’époque on parlait beaucoup moins de logiciels libres qu’aujourd’hui ; et pourtant…
Illich est un penseur qui a beaucoup réfléchi sur la tournure que prenait notre société industrielle. Parmi ses écrits : Tools for conviviality, dont nous allons ici survoler certaines idées.
Le concept d’outils conviviaux se définit en les termes suivants :
“ Tools that guarantee their right to work with high, independent efficiency, thus simultaneously eliminating the need for either slaves or masters and enhancing each person’s range of freedom. People need new tools to work with rather than tools that “work” for them.
I believe that society must be reconstructed to enlarge the contribution of autonomous individuals and primary groups to the total effectiveness of a new system of production designed to satisfy the human needs which it also determines. In fact, the institutions of industrial society do just the opposite. As the power of machines increases, the role of persons more and more decreases to that of mere consumers. ”
Autrement dit, Illich qualifie de conviviaux les outils qui n’enlèvent rien à notre indépendance ; qui nous servent plus que nous annihilent, respectant notre liberté d’action.
Le parfait contre-exemple pour Illich sont les voitures.
“ In the case of transportation it has taken almost a century to pass from an era served by motorized vehicles to the era in which society has been reduced to virtual enslavement to the car. During the American Civil War steam power on wheels became effective. The new economy in transportation enabled many people to travel by rail at the speed of a royal coach, and to do so with a comfort kings had not dared dream of. Gradually, desirable locomotion was associated and finally identified with high vehicular speeds. But when transportation had passed through its second watershed, vehicles had created more distances than they helped to bridge; more time was used by the entire society for the sake of traffic than was “saved.”
[…]
Cars can thus monopolize traffic. They can shape a city into their image – practically ruling out locomotion on foot or by bicycle in Los Angeles. They can eliminate river traffic in Thailand. That motor traffic curtails the right to walk. […] Cars create distance. Speedy vehicles of all kinds render space scarce. They drive wedges of highways into populated areas, and then extort tolls on the bridge over the remoteness between people that was manufactured for their sake. This monopoly over land turns space into car fodder. It destroys the environment for feet and bicycles. ”
En d’autres termes, la voiture créerait plus de problèmes qu’elle n’en a résolu. S’accaparant un monopole sur notre façon de nous déplacer, et reléguant par la même les transports collectifs ou autres modes de locomotion non-motorisés à un second rang. Lesquels ne pouvant rivaliser, il est effectivement bien souvent, aujourd’hui, plus avantageux d’utiliser sa voiture sur les courtes et moyennes distances que les transports en commun ou la bicyclette.
Et pourtant… Dans un monde sans voiture, la circulation serait plus fluide, les transports en commun assureraient une meilleure couverture, car plus d’utilisateurs, et le vélo aurait toute place pour circuler. Sans être aussi radical, de simples couloirs réservés aux bus et aux vélos résoudraient en partie le problème. On ne va pas parler des conséquences environnementales, mais juste se questionner si finalement on ne serait pas plus heureux en étant moins dépendant à cet outil qu’est la voiture.
Et pourtant, ce monopole ne vient d’aucune compagnie commerciale particulière. Il s’est instauré de lui-même, au gré du temps. Car nous avons trouvé confortable d’utiliser notre voiture, et que cet usage, grandissant, s’est imposé aux alternatives par les avantages qu’il procure.
D’où certaines interrogations ne peuvent que se soulever :
1 – Qu’en est-il de notre responsabilité ?
Bien souvent, quant on parle de monopole, on a pour habitude (par confort ?) de pointer du doigt une compagnie particulière. Ici il n’en est rien. Le monopole s’est instauré de par notre usage.
Revenons à nos logiciels libres. On peut reprocher tous les maux du monde à Microsoft, pour ne citer que cette entreprise, mais si finalement nous n’étions que les premiers coupables de ce monopole ? Par manque de courage, car l’effort de chercher dans le commerce des PCs sans OS pré-installés nous paraît trop grand ? Par manque de connaissance d’alternative existante ? Par manque de sensibilisation à cette problématique qu’est notre liberté ? Par égoïsme, en nous plaçant en simples victimes ?
Et si nous étions les premiers garants de notre « cause commune » ?
2 – Qu’en est-il de la responsabilité du gouvernement ?
Doit-il rester simple spectateur face à ce qui se passe, et ce au nom de le liberté de chacun, entreprises comme individus ? Ou au contraire doit-il intervenir lorsqu’un déséquilibre apparaît pour tenter de le résorber ? Doit-il concéder des avantages supplémentaires aux transports alternatifs à la voiture, via des couloirs réservés ? Doit-il imposer le Dual boot dans nos écoles ?
Et si le Gouvernement était le premier garant de notre « cause commune » ?
Par la suite, Illich introduit la notion de « monopole radical ». S’appliquant non plus sur un produit, mais sur une façon de faire – typiquement la voiture en tant que moyen de locomotion. Puis il en arrive à s’interroger si ces dépendances, à un certain degré, ne se révèleraient pas contre-productives pour notre société. Mais tout ceci serait l’objet d’autres publications sur ce blog 😉 …